Marie ROSNET, en religion sœur GABRIELLE
Marie ROSNET est née le 2 janvier 1872 à Saint-Jean-des-Ollières. Issue d’une famille aisée, elle est la fille de Pierre, propriétaire, et d’Anne PRULIÈRE, aubergiste. Elle entre dans les ordres à 19 ans chez les Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul le 9 avril 1891 ; elle prend l’habit le 14 novembre puis est placée à la maison de la Charité La Guillotière à Lyon. Après avoir prononcé ses vœux pour la première fois le 1er mai 1896, elle est envoyée à l’hôpital Saint-Luc à Lyon. Elle rejoint l’hospice de Clermont-en-Argonne le 18 juin 1909 et deux années plus tard, elle est nommée Supérieure de la communauté. La Grande Guerre va alors bouleverser sa vie faite de dévouement auprès des pauvres et des malades pour faire d’elle une héroïne nationale à l’heure où le pays a besoin de faire l’Union Sacrée déclarée le 4 août 1914 par le président de la République Raymond POINCARÉ.
Les 2 et 3 septembre 1914, sœur GABRIELLE, accompagnée de trois autres jeunes sœurs, aide à la gare à l’évacuation des soldats blessés. Elle fait du porte-à-porte dans la ville auprès des habitants qui vont fuir et installe 100 lits supplémentaires pour accueillir des blessés qui ne vont pas manquer d’arriver. Le 4 septembre, un officier la somme de partir, mais sans ses 42 vieillards pour lesquels aucun véhicule n’a été prévu ; elle refuse. Elle recueille sur un trottoir un jeune soldat malade de la dysenterie, Camille GUERET, le ramène à l’hospice et l’installe dans une pièce réservée aux malades du typhus. (Ce soldat sera sauvé car les Allemands n’oseront pas entrer dans cette pièce et à leur départ, elle le remettra guéri le 14 septembre au général MICHELER). Le bombardement de Clermont commence dans l’après-midi vers 14 heures pour s’achever vers 19 heures et fait peu de dégâts, hormis la rupture de la conduite d’eau principale. Dans la nuit, vers 2 heures, sœur GABRIELLE entend les pas de la cavalerie et de l’infanterie ainsi que les ordres donnés dans une langue étrangère : l’ennemi est entré dans Clermont.
Le 5 septembre à 5 h 15, alors que sœur GABRIELLE s’avance pour l’ouvrir, la porte de l’hospice vole en éclats sous les coups de crosse. Tandis que deux officiers, revolver au poing, la braquent, le troisième, le plus gradé, lui demande dans un bon français de visiter l’hôpital pour y installer les blessés allemands ; il donne sa parole à sœur GABRIELLE que son établissement sera respecté car elle ne s’est pas enfuie. Les salles sont numérotées avec le nombre de lits qu’elles renferment, mais quand les gradés veulent réquisitionner les deux dortoirs et expulser les personnes âgées qui y couchent, elle se met en travers de la porte et refuse fermement. Elle obtient finalement gain de cause en proposant les 70 lits préparés à l’école. Les blessés allemands arrivent aussitôt, sont installés dans les lits occupés les jours précédents par les blessés français et les sœurs les soignent avec le même dévouement.
Après le pillage en règle des maisons inoccupées, les pétroleurs allemands passent à l’action dans l’après-midi et le feu, attisé par un fort vent d’est, ravage la ville. A l’hôpital, sœur GABRIELLE est inquiète, car la gendarmerie située à l’angle opposé de la rue Neuve est en flammes et elle a peur que le feu ne se communique au pavillon LABROSSE. Elle fait monter l’officier allemand dans le grenier où les poutres sont chaudes et les vitres cassent sous l’effet de la chaleur. Elle lui rappelle spontanément sa promesse : « Mon Colonel, si un officier français m’avait dit ce matin ” Votre hôpital sera respecté “, je l’aurais cru, car chez nous la parole donnée compte, et je vois qu’en Allemagne, il n’en est pas ainsi ». Après ces mots très durs, sœur GABRIELLE croit sa dernière heure venue, mais l’officier fait appeler une compagnie de sapeurs qui vont combattre l’incendie.
Le 6 septembre, un coup de feu est tiré dans les bois de la côte de Sainte-Anne. Un soldat ennemi est blessé à la main. Sœur GABRIELLE est placée toutes les trois heures contre un mur devant un peloton d’exécution pour être fusillée si elle ne donne pas le nom du tireur qu’elle est supposée connaître. Finalement, elle est graciée le lendemain matin pour avoir soigné des soldats allemands pendant la nuit. Quant à l’Allemand blessé, lors d’un interrogatoire, il avouera avoir commis une maladresse en manipulant son arme. Tous les jours jusqu’à leur départ, elle est encore menacée, le canon du revolver sur le corps, par un officier supérieur qui a perdu dans une pièce un carnet rouge qui contenait des plans de guerre ; elle est, là encore, sensée l’avoir retrouvé et caché. Être mise en joue, une habitude, écrit-elle !
Le 13 septembre, après leur défaite à la première bataille de la Marne, les Allemands repassent par milliers en direction de Varennes-en-Argonne. Sœur GABRIELLE intervient une nouvelle fois auprès des officiers ennemis pour que l’hôpital ne soit pas pillé et désigne une sentinelle, un Alsacien qui lui avait servi plusieurs fois d’interprète, pour monter la garde. Le lendemain vers 8 h 45, les derniers Uhlans prennent à toutes brides la route de Varennes et 1/4 h plus tard, deux escadrons du 8e Chasseurs à cheval, suivis du 6e Hussards entrent dans la ville. Clermont-en-Argonne est délivrée ; l’ennemi a abandonné ses blessés intransportables ainsi que 25 soldats français blessés, laissés sans soins depuis leur arrivée, et qui mourront tous de la gangrène.
Au Journal Officiel du 4 décembre 1914, le Gouvernement porte à la connaissance du pays la plus belle conduite : « De Mlle Marie ROSNET, sœur de l’ordre de Saint-Vincent de Paul, supérieure de l’hospice de Clermont-en-Argonne : demeurée seule dans le village, a fait preuve, pendant l’occupation, d’une énergie et d’un sang-froid au-dessus de tout éloge. Ayant reçu de l’ennemi la promesse qu’il respecterait la ville en échange des soins donnés par les sœurs à ses blessés, a protesté auprès du commandant allemand contre l’incendie de la ville en lui faisant observer que « la parole d’un officier allemand ne vaut pas celle d’un officier français », et a ainsi obtenu l’envoi d’une compagnie de sapeurs qui a combattu le feu. A prodigué aux blessés, tant allemands que français, les soins les plus dévoués. »
L’attitude de sœur GABRIELLE et sa réplique à l’officier allemand paraissent dans la presse française mais aussi étrangère et nombreux sont ceux qui viennent la rencontrer à l’hôpital où elle s’occupe des soldats blessés et des malades jusqu’à l’évacuation de la ville le 2 mars 1916. Ainsi, le président de la République Raymond POINCARÉ vient la féliciter à Clermont le 27 novembre 1914 et confie qu’il reviendra lui remettre la Légion d’Honneur. Sœur GABRIELLE est devenue une héroïne nationale de la Grande Guerre et toute personnalité qui passe à Clermont se doit de venir la saluer.
Sœur GABRIELLE reçoit à l’hospice le 19 février 1916 l’ancien président du Conseil Louis BARTHOU, accompagné du sénateur du Finistère Louis PICHON. (Photographie La Contemporaine, fonds Valois)
La romancière américaine Edith WHARTON, qui collecte des dons, a obtenu une autorisation exceptionnelle de parcourir la ligne de front pour visiter les hôpitaux. Elle rencontre sœur GABRIELLE le 28 février 1915 et elle assiste en sa compagnie, depuis les jardins en terrasse en face de l’hôpital, aux assauts meurtriers des 46e RI et 89e RI sur la butte de Vauquois. Le général VALDANT, le vainqueur de Vauquois, celui que sœur GABRIELLE appelait son parrain, surprit un jour à l’hôpital cette conversation entre un jeune bleu et un territorial : « – Hé, le vieux père, comment on l’appelle la petite toujours pressée ? Ma sœur ou ma mère ? – Maman, mon petit gars ».
Des milliers de soldats blessés de Vauquois ou de Verdun passent par Clermont-en-Argonne jusqu’aux premiers jours de mars 1916, quand les bombardements obligent l’ambulance 3/5 à se replier sur Froidos. Les sœurs de la Charité logent au château de l’ancienne faïencerie et vont aider les médecins militaires à soigner les blessés et les malades qui arrivent par 400 à 500 par jour avant d’être évacués à Bar-le-Duc.
De gauche à droite, à la lingerie de Froidos en 1917 : sœur MARIA (Ernestine CHALLIER), sœur LOUISE (Marie FAYARD), Sœur GABRIELLE et sœur JULIE (Marguerite BOUTEILLER). Ces sœurs seront décorées de la médaille des Epidémies. (Photographie transmise par Mme Anne BERNÈDE, petite nièce de sœur GABRIELLE)
Le 27 avril 1916 à 15 heures, sœur Gabrielle est décorée à Froidos de la Croix de guerre avec palme ; elle est une des premières femmes à recevoir cette distinction. (Citation à l’Ordre de l’Armée parue au Journal Officiel du 7 juin 1916).
« Mlle ROSNET Marie, en religion sœur Gabrielle : pendant l’occupation allemande de X… a, par son sang-froid et son courage réussi, malgré la présence de l’ennemi, à secourir et à sauver de nombreux blessés restés prisonniers ; a, par une intervention incessante et pleine de dangers, réussi à préserver l’hôpital dont elle a continué d’assurer le fonctionnement. Depuis lors, avec un admirable esprit d’abnégation et de charité, n’a cessé de prodiguer, sous les bombardements, les soins les plus dévoués à nos malades et à nos blessés, réconfortés par sa bravoure et son inébranlable confiance. »
Récompense suprême, sœur Gabrielle est élevée au rang de Chevalier de la Légion d’Honneur par décret du 10 septembre 1916 avec la citation suivante : « Mlle Rosnet (Marie), en religion sœur Gabrielle, supérieure de la communauté des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, attachée à l’hospice de Clermont-en-Argonne : titres exceptionnels. – A fait preuve depuis le début de la guerre d’un courage et d’un sang-froid exemplaires. A sauvé dans des circonstances critiques de nombreux soldats français malades ou blessés. A été pour le service de santé une collaboratrice aussi précieuse par ses qualités techniques d’infirmière que par ses qualités d’initiative courageuse. Exemple de bravoure et d’inébranlable confiance. A déjà été citée à l’ordre de l’armée. »
Comme il s’y était engagé, le président de la République Raymond Poincaré, accompagné de ses ministres de l’Intérieur et de la Guerre, lui remet le 13 septembre la médaille à la préfecture de Bar-le-Duc. Il était venu le matin à la Citadelle de Verdun remettre à la Ville les décorations attribuées par les chefs d’États des Pays alliés. La même Légion d’Honneur qui lui est remise en 1916 à titre civil lui est ensuite décernée à titre militaire (comme infirmière militaire, J.O. du 11 juillet 1918), ce qui lui donne le droit d’accrocher une seconde palme sur sa Croix de guerre.
À l’ambulance 3/5, 16 000 blessés de l’Argonne et 23 000 de Verdun sont recueillis à Froidos, ainsi que 4 700 contagieux qu’elle soigne et guérit à Benoite-Vaux où elle a été détachée. C’est là qu’en 1918 l’armistice la trouve. Après la guerre, elle est une des premières personnes à rentrer à Clermont et revoir son hôpital dévasté dans une ville en ruines. Elle se bat pour sauver « sa maison » que va restaurer gracieusement la Mission Anglo-américaine de la Société des Amis. C’est encore elle qui n’a pas oublié ses origines auvergnates et qui obtient de Clermont-Ferrand qu’elle devienne la ville marraine de Clermont-en-Argonne et lui vienne en aide. Sœur GABRIELLE se dépense sans compter auprès de la population, organise des soirées récréatives pour recueillir des fonds destinés à élever un monument à la mémoire des Clermontois Morts pour la France, s’investit dans le patronage des jeunes filles. Elle reçoit le prix MONTHYON, prix de la vertu attribué par l’Académie française à des personnes méritantes.
Les 29 et 30 janvier 1927, elle organise encore deux soirées récréatives placées sous la présidence d’André MAGINOT au profit de la caisse de secours des Anciens Combattants, mais déjà la fatigue se fait sentir. Elle ne cache pas ses problèmes de santé, ses jambes lourdes ; la population s’inquiète. Elle doit finalement se résoudre à partir en cure à Contrexéville en juillet puis demande en septembre à faire une retraite à la maison mère des Filles de la Charité à Paris où la « Mère des Poilus » s’éteint subitement le 19 septembre 1927 à l’âge de 56 ans. La population, bouleversée par son décès, demande le retour de son corps à Clermont. La famille avait envisagé de le faire revenir en Auvergne mais elle donne finalement son accord.
La dépouille mortelle de sœur Gabrielle arrive à Clermont le vendredi matin et reste exposée dans la chapelle de l’hôpital jusqu’au samedi 10 heures. Durant la journée et toute la nuit, les populations de Clermont et des villages des environs viennent se recueillir et prier près du cercueil de la grande disparue. Les obsèques ont lieu le samedi 24 en présence d’une foule considérable et les honneurs lui sont rendus. Monseigneur Ginisty, évêque de Verdun, prononce l’oraison funèbre. Parmi les personnalités assistant aux obsèques, on remarque : M. Campion, sous-préfet, MM. les généraux Valdant et Bordereau, MM. Schleiter, député, Loyseau du Boulay et Poincelet, conseillers généraux de Clermont et Varennes, Chevallier, conseiller d’arrondissement, Gille, maire de Clermont et son conseil municipal ainsi que de nombreux maires du canton. La famille de sœur Gabrielle est présente. De magnifiques discours sont prononcés par le général Valdant, M. Rey, président des Anciens Combattants et M. Gille ; M. le Sous-préfet, représentant le Préfet, parle au nom du gouvernement et de M. Poincaré.
Une des paroles familières de sœur GABRIELLE était « Pour être bon assez, il faut l’être trop ». Elle est gravée sur la plaque à sa mémoire dans la chapelle Sainte-Marie. Dans son discours à ses obsèques, le maire de Clermont André GILLE disait d’elle : « On ne pouvait rien lui refuser, à cette femme, car avant de demander, elle avait commencé par tout donner ».